Drogues et dépendance sexuelle : une coaddiction méconnue aux conséquences graves
Drogue et dépendance sexuelle : deux addictions qui s’entremêlent
La consommation de drogues est un sujet de préoccupation majeur dans le domaine de la santé publique. Cependant, l’association entre substances psychoactives et comportements addictifs d’ordre sexuel reste encore peu étudiée et largement sous-estimée. Cette combinaison, souvent appelée coaddiction ou addiction croisée, présente des risques graves pour la santé mentale et physique des personnes concernées. Le lien entre dépendance sexuelle et usage de drogues peut aggraver de manière significative les effets destructeurs de chaque trouble pris isolément.
Comprendre la coaddiction : drogues et comportement sexuel compulsif
Le terme coaddiction désigne la présence simultanée de deux dépendances. Dans le cas présent, il s’agit d’une association entre un trouble lié à l’usage de substances (alcool, cocaïne, méthamphétamine, GHB, etc.) et une hypersexualité pathologique. Cette dernière se traduit par une incapacité à contrôler ses pulsions sexuelles malgré des conséquences négatives sur la vie personnelle, sociale et émotionnelle.
La coaddiction sexuelle et toxique peut se manifester de différentes manières, notamment :
- La consommation de drogues pour amplifier ou prolonger les performances sexuelles;
- L’usage de substances pour désinhiber ou échapper à la culpabilité associée aux comportements sexuels compulsifs;
- Des rapports sexuels dans le cadre de contextes dangereux, notamment lors de « soirées chemsex » (chemical sex), où drogues et sexualité se combinent de façon intensive.
Ce double phénomène de dépendance entraîne une spirale dangereuse dans laquelle chacun des éléments alimente l’autre, rendant très difficile l’arrêt de la consommation ou le contrôle du comportement sexuel compulsif.
Les substances les plus impliquées dans la coaddiction sexuelle
Certaines drogues sont particulièrement impliquées dans l’association avec les troubles sexuels. Elles partagent des caractéristiques communes : effets désinhibants, stimulation du système dopaminergique, altération du jugement.
- Méthamphétamine (crystal meth) : surstimule la dopamine, intensifiant le plaisir sexuel et provoquant un comportement hypersexuel. Elle est particulièrement fréquente dans les pratiques de chemsex.
- GHB/GBL : surnommé « la drogue du viol », ce dépresseur du système nerveux central est utilisé pour son effet désinhibant, mais peut entraîner des pertes de mémoire, altérer le consentement et engendrer une forte dépendance.
- Cocaïne : initialement énergisante et euphorisante, elle peut induire une hypersexualité avant d’engendrer, à long terme, des troubles de la libido et des comportements sexuels à risque.
- MDMA (ecstasy) : provoque une surstimulation émotionnelle et physique qui favorise la recherche de contact sexuel, souvent sans protection.
- Alcool : bien qu’en vente libre, il est fréquemment associé à des comportements sexuels non protégés et à une perte de contrôle des inhibitions, favorisant la conjonction avec d’autres produits.
Conséquences de l’association entre drogues et dépendance sexuelle
Les effets cumulatifs de la coaddiction sont dévastateurs. Les risques sur la santé mentale et physique sont démultipliés, en raison de l’exacerbation mutuelle des deux dépendances.
Risques pour la santé physique
- Transmission d’infections sexuellement transmissibles (IST), y compris VIH et hépatites, largement favorisée par les pratiques sexuelles non protégées et le partage de seringues.
- Epuisement physique dû à des sessions de plusieurs jours mêlant consommation continue de drogues et activité sexuelle intense.
- Risque d’overdose, en particulier avec les substances comme le GHB, dont le dosage critique est très faible et difficile à contrôler.
Conséquences psychologiques graves
- Dépression et anxiété sévères.
- Perte d’estime de soi liée à des comportements perçus comme dégradants ou déviants.
- Troubles de l’identité et isolement social, dus à la stigmatisation et à une vie de plus en plus centrée sur la drogue et le sexe.
- Phénomènes de dissociation et troubles cognitifs liés à la consommation chronique de substances psychoactives.
Le phénomène du chemsex : une pratique emblématique de la coaddiction
Apparu d’abord dans les grandes métropoles occidentales, le phénomène du chemsex désigne l’usage intentionnel de drogues en contexte sexuel — notamment chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Les substances les plus utilisées sont le GHB, la méthamphétamine, et la méphédrone.
Le chemsex est emblématique du danger de la coaddiction. Il favorise la perte de repères, des rapports non protégés et des pratiques sexuelles extrêmes ou à répétition, causant une forte altération de la santé physique et mentale.
Des études comme celle publiée dans The Lancet HIV (Bourne et al., 2015) révèlent que les participants aux pratiques de chemsex présentent des taux très élevés de dépression, de tentatives de suicide et d’usage problématique de substances. Le National Institute on Drug Abuse (NIDA) souligne également que la combinaison stimulants/dépression post-utilisation accroît considérablement la vulnérabilité psychologique des individus engagés dans cette double dépendance.
Une prise en charge souvent inadéquate ou inexistante
Une des problématiques majeures posées par la coaddiction est le manque de structures capables de proposer un traitement combiné. Les centres spécialisés se concentrent souvent soit sur les toxicomanies, soit sur les troubles psychosexuels, rarement sur l’ensemble. Or, les deux dépendances sont généralement si imbriquées qu’un soin dissocié ne permet pas d’enrayer l’ensemble du mécanisme biologique et psychologique à l’œuvre.
Un accompagnement adapté devrait inclure :
- Un sevrage médicalisé encadré, en particulier dans les cas impliquant le GHB ou la méthamphétamine;
- Un suivi psychothérapeutique spécialisé, incluant la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) et la gestion des impulsivités sexuelles;
- Un accompagnement social et une reconstruction de l’identité de la personne hors de la consommation et du comportement sexuel compulsif;
- Une éducation à la réduction des risques et à la sexualité responsable.
Prévenir la coaddiction : sensibiliser et informer
Comme beaucoup de phénomènes d’addiction croisée, drogues et dépendance sexuelle doivent faire l’objet de campagnes de prévention plus visibles et ciblées. L’information doit inclure les risques spécifiques de cette combinaison, notamment auprès des publics vulnérables, tels que les jeunes, les consommateurs de substances en milieu festif ou les communautés LGBTQ+ exposées au phénomène de chemsex.
Promouvoir une approche globale de la santé mentale, sexuelle et additive est indispensable pour réduire les risques de coaddiction. Les structures de soins, les professionnels de santé et les acteurs de terrain doivent être formés à cette problématique encore trop peu connue.
Comprendre pour prévenir. Prévenir pour agir. C’est dans cette démarche que la lutte contre les effets dévastateurs de la coaddiction sexuelle et toxique pourra progresser efficacement.